Comme tout le monde, je m’interroge parfois sur ma façon de travailler ou sur la pertinence de ma participation à tel ou tel projet dans le cadre de mon activité professionnelle. Et de temps en temps, il m’arrive de décliner une offre pour des raisons autres qu’une simple incompatibilité budgétaire ou calendaire.
Sans me croire spécialement génial ou plus soigneux que la moyenne, j’ai la faiblesse de penser que le travail que je fournis dans le cadre de mon activité professionnelle répond à certaines exigences. Je pense que tous autant que nous sommes avons ce type d’exigences, qu’elles soient techniques ou plus philosophiques.
Appelons ça de la « conscience professionnelle », ou de « l’éthique » si vous préférez. Je n’ai jamais bien pris le temps d’en décortiquer les ressorts, mais il me semble qu’elle s’articule autour de trois points plus ou moins liés.
Le premier point, c’est le plus facile, c’est l’éthique avec soi-même, c’est-à-dire agir de façon professionnelle dans un contexte professionnel.
C’est d’abord produire un travail de qualité, sur lequel on a passé le temps nécessaire sans essayer de flouer son client ou son employeur. Ça semble être l’évidence. Mais outre la qualité, le professionnalisme passe aussi par la transparence et la responsabilité.
Par exemple si l’on est développeur, on peut éviter de taire les éléments tiers qui nous ont aidés dans notre travail (bibliothèques open source, CMS, aide de la communauté, etc.) et les créditer de façon explicite quelque part dans notre projet. Si l’on administre un site, on peut éviter de récupérer en douce des images sur Google pour illustrer nos articles et payer les droits aux auteurs des visuels retenus. Si l’on est illustrateur, on peut éviter de vendre des dessins décalqués sur ceux des autres sans rien dire et créer plutôt d’authentiques œuvres originales.
Bref, on peut se comporter en être humain honnête réfléchissant ses choix et rendant à César ce qui lui appartient.
Le deuxième point, moins facile, est celui du choix des clients (ou de l’employeur). Mike Monteiro parle souvent de notre responsabilité face à ce qu’on lègue au monde, et on aurait du mal à lui donner tort.
Reste que définir « quel projet est acceptable et quel projet ne l’est pas » n’est pas nécessairement trivial, et en tout cas certainement pas universel. La question est éminemment subjective, puisque chacun y répondra avec le curseur de sa propre conscience et en fonction de ses convictions intimes.
Personnellement j’ai déjà refusé plusieurs missions, que ce soit en tant que freelance ou lors de mon salariat, parce qu’elles dépassaient les bornes de ce que je considérais tolérable. J’ai par exemple mis directement à la benne un projet de site pour le MEDEF, un design pour une startup érigeant le travail gratuit comme business model ou la création d’un site pour La Manif Pour Tous (si, si, on me l’a proposé).
Évidemment j’ai comme tout le monde réalisé des projets dont je ne suis pas spécialement fier et que d’autres auraient sans doute refusé, mais globalement j’arrive encore à me regarder dans le miroir et (surtout) à diriger à terme mon activité vers des sujets qui me sont davantage chers.
C’est également une question d’équilibre financier bien sûr, puisque les grosses boîtes pas toujours très cleans sont souvent celles qui ont les plus gros budgets et donc celles qui permettent de manger un peu moins régulièrement des pâtes. Chacun fixera lui-même la limite entre compromis et compromission, et je ne me risquerai certainement pas à juger la position du curseur des uns et des autres. Le tout étant de le faire avec honnêteté, et surtout avec logique.
J’en arrive à mon dernier point, le plus difficile : la cohérence.
Exercice périlleux s’il en est, parce qu’il oblige à interroger en permanence les limites qu’on s’est fixées et à prendre en compte l’évolution de nos convictions profondes. Et vous pouvez me croire, être viscéralement contre le système capitaliste tout en ayant besoin de manger et de rester propre n’aide absolument pas à la sérénité sur le sujet.
Je n’ai pas de vraie réponse aux questions que tout ça pose, je sais pertinemment que comme tout le monde je cède consciemment ou non aux fables que me sert parfois mon cerveau sur certains détails que je ne veux pas voir, et j’accepte des plans sans toujours (suffisamment) réfléchir. J’essaie de rester vigilant sur les paradoxes auxquels ça me confronte.
En revanche, si j’ai conscience de mes contradictions, je tente de tenir un discours cohérent et de ne pas changer d’avis avec le sens du vent ou de faire tout et son contraire. À titre d’exemple (et histoire de me faire plein d’amis d’un coup), la récente polémique autour de sooon.fr, qui a vu nombre d’auteurs (souvent talentueux) s’allier à Fotolia le temps d’une opération de com alors qu’ils critiquaient Wilogo (propriété de Fotolia) la veille, a suscité autant d’incompréhension que d’agacement dans la communauté des designers.
Et on peut le comprendre, tant il semble inconcevable qu’on puisse prétendre s’inscrire dans une démarche intelligible avec ce type de double langage. Le message envoyé pour l’occasion est totalement illisible, et la volée de bois vert que l’incident a déclenché sur les réseaux sociaux est bien la moindre des réactions qu’on pouvait en attendre…
J’ajoute que si tout le monde fait des erreurs, la correction de ces erreurs fait partie elle aussi d’un processus éthique : on est autorisé à admettre s’être trompé, à le faire savoir publiquement et à mettre tout en œuvre pour le corriger de façon pédagogique. Faire le mort ou effacer ses traces comme un voleur pris la main dans le sac est la solution des imbéciles, des lâches et des politiciens. Alors oui c’est difficile de s’excuser, mais c’est aussi salvateur, pas seulement pour soi-même mais également pour ceux qui suivent les débats de loin en silence.
Vous connaissez sans doute la belle citation souvent attribuée à Confucius : « Choisissez un boulot que vous aimez et vous n’aurez jamais à travailler un seul jour de votre vie ».
En revanche vous ne connaissez peut-être pas sa mise à jour plus récente : « Choisissez un boulot que vous aimez et vous n’aurez jamais à travailler un seul jour de votre vie, parce que ce secteur n’embauche pas » (j’ignore l’auteur de cet ajout malicieux).
Bref, payer ses factures 100 % en accord avec ses idéaux peuplés de justice et de liberté n’est pas nécessairement la chose la plus facile à accomplir au quotidien. Personne n’est parfait, à chacun ses convictions, son échelle de valeurs et ses cas de conscience.
Mais pour finir je me risquerai tout de même à improviser à mon tour une petite maxime philosophique à l’endroit de mes consœurs et confrères : « si les couleuvres qu’on avale ont le gabarit de boas constrictors, elles finiront par rendre notre bouche incapable d’articuler le moindre discours crédible ».
Posté le 30 novembre 2015
Bel article, auquel j’adhère totalement. J’apprécie tout particulièrement le point de la cohérence, qui est un aspect sur lequel j’insiste assez souvent car je le trouve bien souvent oublié.
Par ailleurs, il faut tirer parti de son éthique : non pas la voir comme un frein au développement de son business, mais plutôt l’assumer jusqu’au bout et en faire une niche, une spécialisation. On devient ainsi reconnu dans un secteur précis, auprès d’une certaine gamme de prospects, ce qui permet de n’avoir rien à envier en terme de CA à ceux qui visent plus large. C’est marketing : plus le message est global, moins la proportion de personnes ciblées est forte. Si le message est très ciblé, le taux de transformation est plus grand.
Ca peut amener à faire repenser son activité, mais au final on en sort gagnant. Bon, après je dis ça, je ne veux surtout pas faire de mon cas une généralité. Mais j’ai le bonheur de l’avoir vécu ainsi et je suis convaincu que ça peut être vrai pour bien d’autres 🙂
Les vendeurs de site internet aux curieuses méthodes (one-shot) représentent exactement l’opposé. Le Pire c’est quand ils se réclament de “communication + éthique” alors qu’en fouillant on découvre le pot aux roses GROS COMME CA. Un scandale qui dure depuis des années.
Hélas, les rares initiatives comme la Charte eTIC prennent fin ou restent très-sous-connues.
N’ayons pas peur des mots. Mais clairement, une partie de ton article cible des personnes en particuliers et je trouve que cela mériterait d’être nuancé.
En effet, tout le monde n’est pas à mettre dans le même panier.
D’un côté tu as Geoffrey D., à qui, sa notoriété digitale lui est montée à la tête, transition d’une personne intéressante et pertinente à un inspecteur des travaux finis égocentrique en quête de reconnaissance perpétuelle.
Ses derniers projets (visible) sont standardisés et graphiquement sans saveur. Par contre, il n’oublie jamais de signé et resigné via ses différentes “entités”. Il en ai rendu au stade ou avec ses multiples comptes twitter, il s’auto RT à chaque “publication”. Et je n’aborderais même pas ses tweets autopromotionnel pour valoriser son travail “d’affiche”, lié aux événements récents. (supprimé depuis).
Et d’un autre côté, tu as des Jean-Philippe C. ou des Stéphanie W. … qui conçoivent et partagent du contenus de qualité, (veille / case study / projets…), sans pour autant se “sur-valoriser”. Ils savent être fiers de leurs travaux sans mettre 4 couches non-plus;
Bref, selon moi, il est un peu injuste de faire un “procès public” à tout le monde, sous prétexte d’avoir participer à UN projet du type de S000n… Effectivement, Wil0g0, F0t0lia, Ad0be… tout n’est pas transparent et / ou blanc comme neige. Mais la fermeture récente de Wil0g0 de la part de son propriétaire rééquilibre la balance !
Voilà voilà,
NB : Toutes mes remarques cibles l’identité numérique publique des personnes cités, il ne s’agit pas d’un jugement de les humain(e)s derrière, que je ne connais pas !